Jeunesse

Manon Fargetton

Dix jours avant la fin du monde

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Chronique de Bénédicte Cabane

Librairie des Danaïdes (Aix-les-Bains)

Que feriez-vous si la fin du monde était inéluctable, s’il ne vous restait plus que dix jours à vivre ? Manon Fargetton, avec ce roman d’une force incroyable, pousse le lecteur dans ses derniers retranchements et le force à s’interroger sur le sens ultime de la vie.

 

Le titre de ce roman apocalyptique est un résumé à lui tout seul. Des explosions anéantissent le monde entier, il ne reste plus que dix jours à vivre aux hommes. Le lecteur va ainsi suivre les dix derniers jours d’une petite dizaine de protagonistes. Chacun est confronté à des choix et, face à cette échéance ultime, il ne sert plus à rien de mentir, de se mentir. Nos « héros », de générations différentes, sont touchants par leurs faiblesses et manquements. Ils vont tous devoir faire le deuil de bien des choses : qui de ses parents, qui de son couple, qui de son métier… Cela peut paraître bien sombre comme cela, mais la mort ne fait-elle pas partie de la vie ? N’y a-t-il pas toujours de l’espoir ? À chacun d’en juger.
 

PAGE — Pourquoi écrire un énième roman sur la fin du monde ? Quelque chose de plus à dire ? Quelque chose à prouver ? Est-ce un exercice de style, un passage obligé pour tout auteur ?
Manon Fargetton – Je n’ai jamais senti aucun passage obligé dans mon travail d’auteur ; j’avance avec ce qui s’impose, des envies, des intuitions, des connexions qui se tissent. Il arrive qu’une phrase m’échappe en cours d’écriture. Assise derrière mon ordinateur il y a plus de dix ans, je me suis vue taper « Et soudain, tout explose ». C’était une image, une explosion intime dans l’esprit de ma narratrice. J’ai vite compris que le projet tout entier se nichait au cœur de cette phrase. Ce qui m’intéresse dans l’idée de fin du monde, c’est le compte à rebours. Le futile n’a plus cours, les plans sur vingt ans non plus. On se recentre sur l’essentiel, sur les « dernière fois ». Je vais mourir, mais avec qui ? Où ? Comment ? Et puis, on ne marche plus seul vers sa propre fin. On y marche tous ensemble. Cette fatalité-là, ce destin commun de l’humanité, me fascinent. Comment y naviguer en tant qu’individu ? Se laisser aller dans le flot ? Lutter contre cette apocalypse annoncée ? Profiter à fond des derniers moments ? Ne rien changer, garder le cap de son existence ? S’en remettre au hasard des rencontres ? Se donner la possibilité d’être une autre pour dix jours ? Ou d’être enfin soi-même ? Chercher une forme de rédemption ? Se planquer sous sa couette et ne plus bouger ? Il y a forcément une part de déni – celui qui nous permet au jour le jour de se projeter dans un futur alors que nous pouvons mourir à tout instant – mais décuplé, et puis fragile, vacillant, parce que les faits rattrapent mes personnages. Un de mes éditeurs me faisait remarquer récemment que la notion de libre-arbitre est centrale dans mes romans. C’est très vrai. « En dépit de mon éducation, de mon histoire, de ceux qui me gouvernent, des dieux auxquels je crois ou non, de mes peurs et de mes blessures, de la pression sociale, de la morale, quel chemin vais-je tracer ? Qui je décide d’être ? » Cette question me passionne. Et le contexte d’une fin du monde s’y prête délicieusement !

P. — Il y a une mise en abyme dans votre roman : un jeune homme, Gwenaël, écrit un roman sur la fin du monde et le lecteur y a accès. Est-ce une façon pour vous de retrouver une écriture à quatre mains (comme pour votre précédent roman, Quand vient la vague, publié chez Rageot, co-écrit avec Jean-Christophe Tixier) ?
M. F. – Je ne l’avais pas vu ainsi ! Mais j’aime cette idée et si c’est une écriture à quatre mains, alors c’est avec la jeune femme que j’étais il y a dix ans que je partage ces pages. Dix jours avant la fin du monde a une histoire particulière. J’en ai écrit une première version en 2008, entre mon premier et mon deuxième roman publié. L’essentiel était déjà là – l’ambiance à la fois d’urgence et de suspension, certains personnages, les explosions qui ravagent la terre... C’était loin d’être abouti, j’en étais consciente. Maladroit dans le scénario et trop personnel peut-être, ma distance n’était pas la bonne. J’ai laissé ce texte de côté durant des années. Jusqu’à ce que les personnages reviennent me hanter. Et d’autres avec eux, nouveaux et familiers, comme celui de Gwenaël. Chaque photo que je voyais, chaque roman que je lisais, chaque film, tout me parlait de ce projet. Alors je m’y suis remise, j’ai recommencé à zéro sans savoir ce que je ferais de ce texte. Gwenaël est un écrivain, en effet, qui veut terminer son roman avant la fin du monde. Et ce roman qu’il écrit est tiré du manuscrit que j’ai mis de côté il y a dix ans. J’ai eu besoin d’en intégrer des passages dans cette réécriture, comme une trace du cheminement de ce projet. Bien sûr, des échos naissent entre ce que Gwen écrit et ce que vivent mes personnages. Leurs doubles littéraires apportent une nouvelle dimension à l’histoire, omnisciente, prophétique. Et la frontière entre réalité et fiction s’efface. « La littérature peut changer le monde. » Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont Gwenaël et Lili-Ann. Bon d’accord, c’est peut-être un peu moi à travers eux !

P. — La fin du roman n’est que le début de quelque chose, ouvre sur un ailleurs. Envisagez-vous une suite ?
M. F. – Non. Ce sont ces dix jours qui m’intéressaient, ce « in-apocalypse », les relations qui s’y jouent, les drames intimes qui se déploient au cœur du drame collectif. L’après, si un après est possible, je préfère le rêver, le laisser à rêver, forcément multiforme car différent dans l’imagination de chaque lecteur. Des images me viennent parfois, comme des fragments de films. Je vous laisse fabriquer les vôtres.

 

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