Essais

Gérard Noiriel

Chocolat

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photo libraire

Chronique de Caroline Clément

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L’un est esclave cubain surgi de l’ombre. L’autre est citoyen noir américain. Deux hommes que les époques et les trajectoires séparent. Si Chocolat reste à jamais muet, Ta-Nehisi Coates porte sa voix.

On lit souvent la quatrième de couverture avant d’ouvrir le livre qui est entre nos mains : citations des meilleurs journalistes, extraits de presse dithyrambiques, recommandations impératives d’auteurs de renom… Quoi qu’il contienne, l’ouvrage est encensé. De quoi parfois légitimer le doute. Faut-il avoir honte d’avoir voulu vérifier les propos de Toni Morrison, prix Nobel de littérature, qui enjoint le lecteur à s’emparer de Une colère noire, lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates ? Une colère noire . Une vaste colère venue de loin, très loin, dont on saisit ici tous les sens, qui se développe puissamment et s’ordonne. Ta-Nehisi reprend le fil de l’histoire, à la lettre. La sienne, mais aussi celle du monde. Il questionne, se contorsionne dans l’effort pour comprendre, encore et encore. Lisant, écrivant, interrogeant, il lutte depuis toujours pour mettre au jour les ficelles du racisme, pour assumer sa négritude. Il lutte encore, chaque jour, pour sauver ce corps qui est le sien, comme ses parents le lui apprennent, pour vivre malgré la rue, pour cesser de fantasmer ce rêve américain qu’en même temps il condamne. Ta-Nehisi parle à son fils de 15 ans, mais il parle aussi à l’humanité. Il s’adresse aujourd’hui aux lecteurs français qui découvrent à l’écran et dans la presse la vie d’un autre homme, Chocolat, surgi d’une autre époque, lui aussi victime de sa couleur de peau et de son origine. Esclave cubain vendu à un marchand espagnol puis engagé comme domestique par un clown anglais, il arrive à Paris et devient un célèbre artiste de cirque pendant la Belle Époque. L’historien Gérard Noiriel l’a patiemment sorti de l’ombre. En inscrivant sa popularité dans une perspective nouvelle, il réhabilite sa mémoire.

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