Jeunesse

Rambharos Jha

Bestiaire du Gange

illustration
photo libraire

Chronique de Claire Couthenx

Autre KUBE (MONTROUGE)

L’Inde et ses 5000 ans de culture ont toujours fasciné les artistes. Ses couleurs, son imaginaire, sa mythologie foisonnante en font un creuset formidable. Le territoire est un vivier d’artistes qui osent s’exprimer de façon libérée et expressive, et où les femmes occupent une place singulière.

Intéressons-nous plus particulièrement à la région du Mithila, État du Bihar, nord-est de l’Inde, par le biais de deux ouvrages récemment parus en littérature jeunesse. Cette région est connue pour une spécificité qui, depuis l’époque du Râmâyana, autrement dit l’antiquité, en fait un lieu à part : la peinture de Madhubani (appelée aussi art du Mithila). Il s’agit d’une forme très spéciale d’expression : des peintures murales et sur sol exclusivement exécutées par des femmes. Elles étaient surtout réalisées dans les chambres nuptiales au moment de la célébration d’un mariage. Les femmes du Mithila sont depuis lors très sollicitées pour leurs créations, car cette transmission, unique en son genre, est parvenue à préserver un style et des techniques qui ont très peu évolué au fil des siècles. Selon le conte de Françoise Jay, Tamanna princesse d’arabesques, l’héroïne serait la première de ces femmes artistes du Mithila, artiste au talent immense qui aime montrer ses œuvres à l’amour de sa vie, Ksantu, fils d’un riche marchand. Hélas ! Aux yeux du père de ce dernier, la modestie de la dot de la jeune fille est un frein à la possibilité d’un mariage. Mais la beauté et la valeur du talent de Tamanna n’échappent pas à un prince étranger de passage, lequel demande sa main sur-le-champ afin de la conduire en son palais. Tamanna n’a même pas le temps de prévenir son amour. La jeune fille confie alors un message à son petit frère afin qu’il le porte à Ksantu : il pourra la retrouver grâce à ses fresques. Le jeune homme se met en route sans délai et parvient à découvrir le lieu où sa promise a été emmenée, et son père finit par admettre que « ce talent est une richesse aussi précieuse que la plus précieuse des dots. » L’album traite élégamment de la question du mariage forcé, encore d’actualité dans de nombreuses régions de l’Inde. L’art du Mithila y est mis en valeur par la technique de Frédérick Mansot. Les illustrations sont peintes à la gouache sur du tissu de type liberty avec des motifs cachemire. Ce travail raffiné utilise les motifs du tissu marouflé pour créer tous les éléments du décor. L’œil attentif verra effectivement la trame du tissu sous la peinture. Quant au tissu de base utilisé sans peinture, il compose les pages de garde de l’album.

Un autre homme est relié à l’art du Mithila : Rambharos Jha, fasciné dès son plus jeune âge par l’effervescence artistique de sa région d’origine. Depuis les années 1970, où une grande famine força les artistes à trouver de nouveaux supports d’expression plus commercialisables, les œuvres ont migré sur du papier fabriqué à la main. Rambharos Jha, amateur de ce support, s’est inspiré des techniques ancestrales et des thèmes classiques avant de s’orienter vers une expression plus personnelle, qui l’a conduit à explorer la faune du Gange. On y croise des poissons scintillants, de fiers hippocampes, des poulpes majestueux ou encore de nobles tortues. Et les éditions Actes Sud nous permettent d’avoir une véritable œuvre de Madhubani entre les mains, car chaque page du Bestiaire du Gange est une sérigraphie sur du papier fabriqué à la main en Inde. Les magnifiques illustrations servies par des couleurs éclatantes sont complétées par des poèmes classiques tamouls datant du IIe siècle de notre ère, en rapport avec les animaux illustrés. Le tamoul est une des nombreuses langues parlées et chantées en Inde. Dans le splendide Comptines de roses et de safran, dernier-né de la collection « Comptines du monde », on nous explique l’origine et la spécificité des nombreuses langues qui émaillent le sous-continent indien. Sept d’entre elles sont mises à l’honneur sur le CD avec des interprétations servies par des instruments traditionnels et des chanteurs aux voix entraînantes. On peut donc y entendre des comptines en langue tamoul, notamment une version inattendue de Frère Jacques où il est, là-bas, question d’un papillon. D’autres airs deviennent rapidement entêtants, comme le très entraînant Lakri ki kathi, ou la jolie berceuse Djô. Le style graphique d’Aurelia Fronty et son univers onirique illustrent à merveille ces comptines, chants et autres jeux de doigts. Un intense travail de collectage réalisé par Chantal Grosléziat permet aux comptines d’être reproduites dans leur alphabet d’origine et transcrites en caractères latins – ce qui donne la possibilité aux plus aventureux d’essayer de les chanter –, puis dans une traduction en français phrase par phrase. En l’écoutant, on est tout de suite plongé dans l’univers à la fois accueillant et mystérieux de l’Inde, ce pays culturellement si riche et plein d’enseignements qui a toujours attiré les amateurs de sensations exotiques.